Intervention du Commissaire Busquin au colloque "Le rôle de l'Université dans l'Espace européen de la connaissance", Milan, le 21 octobre 2002

October 22, 2002

Milan, le 21 octobre 2002

Monsieur le Recteur, Madame et Monsieur les députés européens, Mesdames, Messieurs,

Avant tout, je voudrais féliciter l'Université Catholique de Milan d'avoir pris l'initiative d'organiser ce colloque.

Le rôle des universités dans l'Europe de la connaissance est une question de première importance, qui n'a malheureusement bénéficié jusqu'ici que de peu d'attention.

Pourtant, des enjeux considérables lui sont liés. Sans craindre d'exagérer, on peut presque dire que l'avenir de l'Europe et sa place future dans le monde dépendent largement de la manière dont elle sera abordée.

Pour quelles raisons? Comment cette question se présente-t-elle? Et que faire pour assurer qu'elle sera traitée de façon adéquate?

C'est ce que je voudrais essayer de vous montrer cette après-midi, de commencer à vous montrer, en tous cas, parce que le sujet est vaste et complexe.

Comme vous le savez sans doute, la Commission européenne présentera prochainement des vues plus détaillées sur ce thème.

Les quelques réflexions que je souhaiterais vous présenter porteront sur quatre points étroitement liés:

  • L'Europe de la connaissance et sa nature;

  • Le rôle des universités dans ce contexte ;

  • Les thèmes appelés à faire l'objet de réflexions et d'actions;

  • Et le rôle des différents acteurs, notamment celui de l'Union européenne.
L'Europe de la connaissance

Qu'est, ou que devrait être, l'Europe de la connaissance? Que ce terme recouvre-t-il en pratique? Est-il davantage qu'un simple slogan ?

L'Europe de la connaissance est bien moins quelque chose d'existant qu'une réalité à créer et à faire advenir.

On peut la définir comme l'établissement, à l'échelle européenne, de l'économie et de la société de la connaissance.

Comme vous le savez peut-être, au Conseil européen de Lisbonne du mois de mars 2000, l'Union européenne s'est fixé pour objectif de devenir, d'ici 2010, "l'économie de la connaissance la plus compétitive et dynamique au monde".

Qu'entend-on par là, et par l'expression complémentaire de "société de la connaissance"? Peut-on vraiment dire qu'on a affaire ici à des réalités tout à fait nouvelles?

Non, assurément. Comme chacun sait, le progrès économique et social a toujours été très largement fondé sur celui des connaissances.

Mais jamais à ce degré, et jamais dans l'histoire la connaissance n'a joué dans l'économie et le fonctionnement de la société un rôle aussi intense que celui qu'elle joue aujourd'hui.

Selon les économistes, plus de 50% de la croissance économique est, directement ou indirectement, imputable au progrès technologique.

Et celui-ci est conditionné par celui des connaissances scientifiques, dont le volume s'accroît, et qui progressent, à un rythme qui va s'accélérant.

L'économie et de la société de la connaissance reposent en réalité sur quatre éléments:

  • La production des connaissances, essentiellement par la recherche scientifique;

  • Leur transmission par l'éducation et la formation;

  • Leur diffusion par les technologies de l'information et de la communication;

  • Leur exploitation dans le processus d'innovation technologique.
Il y a de multiples liens et interactions entre ces différents aspects: l'éducation et la formation conditionnent la recherche et l'innovation; la connaissance scientifique est à la fois un contenu privilégié de l'éducation, la clé du progrès des technologies de l'information et une source majeure d'innovation; les technologies de l'information sont un facteur majeur d'innovation et un instrument de l'éducation et un outil pour la recherche, etc.

Les universités dans l'économie et la société de la connaissance

Dans ce contexte, une institution qui joue déjà aujourd'hui, et est appelée à jouer davantage encore dans l'avenir, un rôle clé, est l'université.

On comprend facilement pourquoi: du fait de sa double mission traditionnelle de recherche et d'enseignement, et de la façon liée dont elle exerce ses fonctions dans ces deux domaines; mais aussi en raison du rôle croissant que jouent les universités dans le processus d'innovation.

Pourtant, ceci est encore très peu reconnu, plus spécialement en Europe, et tout particulièrement au niveau européen.

Aux yeux des autorités publiques nationales et européennes, les universités tendent en effet à apparaître comme un acteur de la recherche parmi d'autres, et l'un des éléments du système d'éducation.

Quant aux responsables universitaires, pour des raisons bien compréhensibles, leur attention s'est longtemps concentrée sur les problèmes immédiats et les défis importants auxquels leurs institutions font face:

  • La question de leur financement;

  • La tension entre les exigences de l'excellence, en recherche comme en éducation, et les contraintes liées à un afflux croissant d'étudiants;

  • Les multiples adaptations de leurs structures et de leur fonctionnement auxquelles elles doivent procéder, notamment du fait de l'évolution des disciplines et de la multiplication des domaines interdisciplinaires.
J'ai dit "s'est longtemps concentrée". La situation est en effet en train de changer. Une prise de conscience s'opère, parmi les responsables des universités européennes, dont la présente manifestation constitue une preuve et une expression supplémentaires.

Et l'intention de la Commission européenne de présenter un document spécifiquement consacré aux universités, couvrant tous les grands aspects de leurs activités, suscite un très fort intérêt des milieux concernés.

Visiblement, le moment est donc à la fois venu et possible d'approfondir un certain nombre de questions trop longtemps négligées.

Les grands thèmes

Sur quels aspects une réflexion sur le rôle des universités dans l'Europe de la connaissance, et les initiatives concrètes qui en découleront, devront-elles se concentrer en priorité?

J'ai évoqué tout à l'heure les défis et les problèmes de caractère général auxquels étaient aujourd'hui confrontées les universités européennes.

Une catégorie particulière d'enjeux apparaissent à l'interface et à l'intersection des trois domaines d'activités des universités, la recherche, l'éducation et l'innovation.

Les questions concernées peuvent être regroupées sous quelques grands thèmes.

Premièrement, celui de la mobilité des chercheurs, des professeurs et des étudiants, avec plus spécifiquement les deux questions:

  • De la mobilité transfrontalière, et de la mobilité de l'université vers l'industrie, ainsi que des obstacles qui subsistent à cette mobilité;

  • De l'équivalence et la reconnaissance mutuelle des diplômes et des formations.
Deuxièmement, il y a la formation des chercheurs, l'université étant le seul lieu où celle-ci est assurée. A ce titre, je mentionnerai des problèmes comme :
  • Les besoins futurs en personnel scientifique et technique en Europe, donc l'orientation des jeunes vers les études et les filières scientifiques et techniques ;

  • La formation des chercheurs, des ingénieurs et des techniciens pour l'industrie plus spécifiquement;

  • La question du doctorat et des troisièmes cycles;

  • Et a formation des chercheurs aux aspects sociaux, éthiques, historiques et épistémologiques de la science, qu'ils ne connaissent et ne maîtrisent pas au degré souhaitable.
Un aspect lié est celui des carrières : la profession de chercheur et d'enseignant/chercheur, les conditions de recrutement et d'emploi, notamment au niveau du Post-Doctorat, et l'ouverture des postes aux ressortissants d'autres pays européens.

Il faudrait aussi se pencher sur la place des universités européennes dans le monde: les moyens d'augmenter l'attrait international des universités européennes, les visas et les conditions d'accueils pour les chercheurs et les étudiants des pays tiers, et les coopérations internationales en matière de recherche et d'enseignement.

Un élément clé est l'exploitation des connaissances et l'innovation, avec des sujets comme :

  • Les spin off et les parcs scientifiques, et les conditions statutaires et réglementaires de création d'entreprises par les chercheurs;

  • La propriété intellectuelle en milieu académique, l'accès aux résultats et la protection des connaissances, plus particulièrement par brevets;

  • La formation des chercheurs aux réalités économiques de la recherche et à la gestion, qui leur sont en général peu familières.
Dans le domaine de l'éducation scientifique au sens large, il s'agirait de se pencher sur des questions comme:
  • La formation des professeurs de science pour l'enseignement secondaire;

  • La contribution des universités à l'amélioration de la connaissance de la science par le public;

  • Et la formation continue, l'éducation et la formation tout au long de la vie, et l'éducation scientifique des adultes à l'université.
Enfin, on n'oubliera pas la nécessaire ouverture des universités vers la société:
  • La dimension locale et régionale de l'activité des universités, et leur fonction d'acteurs de la vie économique régionale;
Les liens avec le monde économique, plus particulièrement l'industrie;
  • Et ce que, reprenant une belle expression de l'ancien Ministre de la recherche Claude Allègre j'appellerais: "L'Université dans la "Cité", en un mot, le dialogue avec les citoyens.
Un rôle pour tous

Ces différents sujets n'épuisent assurément pas les points sur lequel un effort devrait être fait pour permettre aux universités européennes de jouer pleinement le rôle qui doit être le leur dans l'Europe de la connaissance.

Mais là se concentrent certainement une série d'enjeux particulièrement importants.

Ces enjeux et les questions liées doivent être abordées dans leur dimension européenne, pour des raisons aisées à comprendre.

Il y a en effet une réalité de la recherche et de l'innovation, comme de l'éducation et de la formation, qui se traduisent politiquement dans plusieurs grands projets liés, prenant la forme d'autant de processus.

Dans le domaine de la recherche, je songe bien sûr au projet d'Espace européen de la recherche, devenu depuis le Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 à l'axe de l'action de l'Union dans le domaine de la recherche et le cadre de référence pour les questions de politiques de recherche en Europe.

Son objectif est double: la création d'un vrai "marché intérieur de la recherche ou circuleront librement les chercheurs, les connaissances et les technologies; et le développement d'une meilleure coordination des activités et des politiques nationales de recherche, qui représentent plus de 80% de l'effort européen global dans ce domaine.

Dans le domaine de l'éducation, les initiatives concernées sont:

  • L'Espace européen de l'éducation et de la formation tout au long de la vie, avec notamment la question des objectifs des systèmes d'éducation;

  • En dehors du cadre de l'Union, mais en liaison étroite avec lui, l'Espace européen de l'enseignement supérieur, c'est à dire le processus dit "de Bologne" d'harmonisation progressive des formations en Europe.
Etroitement liés à cette triple entreprise, on mentionnera l'effort, décidé au Conseil européen de Barcelone au mois de mars de cette année, d'augmenter progressivement l'effort de recherche européen global jusqu'à 3% du PIB. Il sera prochainement complété par une réflexion sur le financement des systèmes d'éducation en Europe.

Ceci ne signifie nullement que toutes les actions à engager doivent l'être par l'Union européenne, a fortiori par la Commission.

Le sens du projet d'Espace européen de la recherche est précisément de susciter, au-delà des initiatives de coopération menées dans le cadre communautaire ou intergouvernemental, une mobilisation concertée des systèmes nationaux de recherche.

Et en matière d'éducation, l'Union ne dispose notoirement que de moyens indirects d'agir, du fait de la limitation de ses compétences.

De fait, les différents processus communautaires que j'ai évoqués se situent dans le contexte général de la coordination ouverte, une méthode d'action complémentaire des interventions par l'intermédiaire de mesures légales ou à l'aide d'instruments de soutien financier.

Cette approche est basée sur l'établissement d'objectifs généraux et de lignes directrices, leur traduction en objectifs par pays, l'étalonnage des performances sur la base d'indicateurs, et l'échange d'expérience et de bonnes pratiques.

En réalité, une combinaison d'actions de différentes natures et à de multiples niveaux s'avérera nécessaire, comme c'est le plus souvent le cas.

Conclusion

Monsieur le Recteur, Madame et Monsieur les députés européens, Mesdames, Messieurs,

Le point que je voudrais souligner est le suivant: avant toute, ce sont les acteurs directement concernés, à savoir les universités, qui doivent se mobiliser.

La prise de conscience que j'évoquais tout à l'heure doit se traduire en actions concrètes.

L'intention de la Commission, en présentant dans les semaines à venir ses vues sur le rôle des universités dans l'Europe de la connaissance, est de lancer un vaste débat dans la communauté universitaire, ainsi que les institutions européennes et tous les milieux concernés, aux niveaux européen et national.

Ce débat, qui devrait associer les universités des pays candidats, devrait permettre d'enrichir les analyses présentées et de préciser les orientations données pour des actions à entreprendre.

Je ne puis que vous inviter à vous y associer, ce que vous allez d'ailleurs pouvoir commencer à faire dès aujourd'hui, je m'en félicite.

Je vous remercie de votre attention.

DN: SPEECH/02/504 Date: 21/10/2002

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